Souvenirs de Prison

IconLes coulisses d'une prison congolaise

Quand l’attente semble éternelle

La justice congolaise semble avoir été piquée par la mouche Tsé Tsé, tellement le sommeil est un état dans lequel elle se complaît d’habitude. La conséquence de tout ceci, s’est que beaucoup de prisonniers restent souvent des mois sans aucun avancement dans l’évolution de leur dossiers.

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J’ai moi même eu à subir une de ces attentes affreuses. Après être passé pour la première fois au tribunal et que l’affaire ait été mis en délibéré, moi et mes coaccusés avions passé plus de 6 mois sans aucune nouvelle en provenance du tribunal (alors que le délai pour répondre après mis en délibéré est de 8 jours).

Après la reprise des séances au tribunal, il avait encore fallu attendre six-mois pour être libéré sans tambour ni trompette. C'e n’est que le jour de la libération que nous avions été condamné à 14 mois d’emprisonnement. Quand et sur base de quelle preuve, ça je ne le sais pas encore jusqu’aujourd’hui, cinq ans après les faits.

J’en connais qui ont passé 3 ans en prison et n’ont jamais vu un agent de la justice et ne connaissent même pas qui est en charge de leur dossier.

Espérons que dans l’avenir, les choses changeront parce que beaucoup sont retenus comme ça pendant des années alors que vu l’infraction commises, il n’aurait même pas fait plus de 3 mois au plus fort de la condamnation.

 
 

Un prisonnier domestique des prisonniers


A la différence de ceux qui reçoivent un provision en nourriture venant de l'extérieure et qui ont donc la possibilité de faire cuisine commune avec d'autres, il y en a qui ne reçoivent pas de visite pendant toute la durée de leur séjour à Makala, obligés de se contenter du maigre vungulé offert par la prison. La conséquence logique est que l'on devient vite moribond, squelettique comme dans un camp nazi.

Ceci pousse certains de ceux qui ne reçoivent pas de la visite à devenir domestiques des autres prisonniers, histoire de ne pas vite passer l'arme à gauche.

Etant donné que ceux qui logent dans les plus belles chambres des pavillons reçoivent régulièrement de la visite et ne s'intéressent nullement au repas offert par la prison, les prisonniers devenus domestiques dans ces chambres reçoivent la totalité de la ration destinée aux occupants de celle-ci en échange de leurs services. Généralement, ces boys sont commis à la cuisine, la lessive et la propreté des chambres.

En plus du vungulé, ces prisonniers domestiques reçoivent une petite part des repas qu'ils préparent pour leurs employeurs (permettez l'expression).
   

Quand il est question de survie, il n'y a pas de sot métier, il n'y a que de sottes gens.

 
 

A part le Vungulé, il y a quoi à manger ?


Un fastfood de la ville de Kinshasa

Vu que la prison n'offre qu'un maigre repas journalier de 30 cl à ses pensionnés, le vungulé, ils ont reçu la permission de recevoir des vivres en provenance de l'extérieur ; vivre que leur apportent des membres de la famille, des amis ou connaisances, si ce ne sont pas les ONG et les mouvements religieux.

Ainsi, vous pouvez retrouver un prisonnier avec une vraie provision de guerre, selon que ceux qui sont venu lui rendre visite ont pu lui laisser quelque chose.

Souvent, ce sont des légumes (non préparés), de la farine de Manioc et de Maïs (pour préparer le fufu national), des haricots, des épices, etc. Les boîtes de conserve sont interdite. Vous ne pouvez qu'en recevoir le contenu vidé dans un autre bocal.

Les chambres de la prison étant toute équipées en petits réchaud rudimentaires, fait avec un fil de fer appelé résistance posé sur de l'argile, le tout incorporé dans un bol en métal (une vielle casserole souvent). Les prisonniers en possession de vivres peuvent ainsi faire la cuisine à n'importe quelle heure (suivant le règlement de la chambre).

Certains prisonniers mettent en commun leurs provisions et font cuisine commune afin que chacun puisse s'en sortir, même s'il n'a reçu aucun ravitaillement depuis un certain temps. Vu que je suis analphabète en cuisine, ce système m'avait permis de déléguer (avec les autres), la cuisine à deux personnes de notre groupe.

Sans le ravitaillement de l'extérieur et la cuisine commune, Dieu sait que Makala aurait eu plus de moribond qu'elle n'en compte. Malgré tout ça, on regrettera toujours les plats de nos mères, nos tantes, nos soeurs, nos copines, etc.


 
 

Et Dieu dans tout ça ?


Au Centre Pénitencier et de Rééducation de Kinshasa, Dieu n'a pas besoin de s'inviter auprès des prisonniers, ils l'invitent avec cris et larmes.

Les habitants de Kinshasa et de l'ensemble du Congo étant très religieux (ou superstitieux pour certains), il est rare d'en trouver un sans confession religieuse déclarée.

Mais, il faut croire que Socrate avait tort d'affirmer que l'homme ne fait le mal que quand il ne sait pas que son acte est mauvais, puisque malgré toute la morale contenue dans les préceptes des grandes religions en vogue au Congo, la prison de Makala ne cesse d'engloutir des nouveaux venus, du jour au lendemain.

Loin de se décourager d'avoir été vaincu par le diable, au point de commettre des bévues condamnables par la loi (parfois à des très lourdes peines), les prisonniers de Makala se regroupent selon leur appartenance religieuse. Ils organisent des cultes au sein des pavillons (le soir entre 17h00' et 19h00') ou dans les cours de recrée de ceux-ci (entre 07h30' et 15h00 ', selon l'horaire de chaque groupement).

Au CPRK, on retrouve les catholiques, les protestants (Eglise du Christ au Congo), les kimbaguistes (ceux qui croient en Simon Kimbangu comme Messie du peuple noir), les musulmans, les témoins de Jéhovah et les différentes Eglises de réveil et évangéliques. On compte parmi ces dernières : l'Eglise Cité Béthel (où je priais pendant mon séjour), l'Eglise Armée de Victoire (dont le Pasteur en chef, l'Archibishop Kutino Fernando se retrouve en ce moment sous le verrou à Makala. Il faut croire qu'ils ont de la chance.), les branhamistes (ils aiment se faire appeler ceux du message du temps de la fin), etc.

La plupart de ces mouvements sont organisés en bergerie, selon les pavillons, et ont un coordonnateur centrale qui veille sur la bonne marche des bergeries, nommant les bergers et assurant l'administration de la congrégation carcérale.

Les dimanches, les prédicateurs viennent de l'extérieur pour réconforter la foi de leurs brebis perdues à Makala, histoire de porter main forte à la mission rééducation confiée au C.P.R.K.

Parfois, des grands cultes œcuméniques sont organisés au terrain de football, à moins que ce ne soit plutôt un concert gospel donné par un artiste de la place. Souvent, les organisateurs s'amènent avec des vivres afin de soulager un tant soi peu la misère de leurs prochains. Je crois que c'est aussi pour que le public soit un peu plus attentif au spectacle. Ne dit-on pas que ventre affamé n'a pas d'oreille ?

A cause de toute cette religiosité présente au Centre Pénitencier et de Rééducation de Kinshasa, certains l'ont surnommé " Centre de Prière et de Retraite de Kinshasa ", l'acronyme restant le même " CPRK ". Je crois que ça fait plus beau comme ça.

Il faut avouer que beaucoup sortent de prison un peu plus enracinés dans leur foi, ayant une plus grand connaissance des écritures saintes qu'ils utilisent (il y a beaucoup de temps pour lire la-bàs).

D'autres encore profitent de leur séjour en prison pour changer de toge. Ainsi, un musulman devient catholique, un protestant embrasse l'Islam, un évangélique devient branhamiste, et ceteri, et cetera. Un peu comme dans ces télé réalités où une demoiselle finit la course complètement vidée de l'amour qu'elle portait à son Don Juan.

Même certains athées (il en existe aussi ici) deviennent croyant, après avoir vu leur co-détenus recevoir exaucement à leurs prières.

Quoi que l'on dise, à Makala, la vie continue. Et ce n'est pas Dieu qui manque à la danse.

 
 

Sapeur même en prison

Dans les deux Congo, il existe une certaine culture de l'habillement de luxe appelé " SAPE ". SAPE est l'acronyme pour " Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes ". Ceux qui font partis du mouvement se font appeler Sappeurs. Ils passent leur temps à se défier avec des habits griffés (de grandes marques) qu'ils collectionnent du jour au lendemain.

Les sapeurs profitent souvent des fêtes et des deuils pour exhiber les vêtements derniers cris qui sont entrés dans leur arsenal. C'est au public de juger qui a été le plus chic. Donc, Feufol, si tu continue à ne pas repasser tes habits, tu ne fera pas l'affaire dans un concours des sapeurs.
 
Que fait un sapeur qui se retrouve en Prison et en plus de cela condamné à quelque temps de réclusion ? Croyez-vous qu'il va troquer sa garde robe contre une tenue de prisonnier ? NON ! 
Il fait venir de chez lui un échantillon de ses beaux habits pour épater les filles venant de l'extérieur les jours de visites. Ainsi, il y en a qui sortent de prison célibataire engagé dans une relation amoureuse alors qu'ils y étaient entré sans aucune fléchette de Cupidon plantée dans le cœur.
Ne croyez surtout pas que la conquête de ces demoiselles ne revient qu'au seuls sapeurs. Makala est un microcosme de la société. Ce ne sont pas toujours les riches qui arrivent à gagner les faveurs des divas. C'est comme à la chasse, un chasseur habile peut se taper une belle proie en dépit de la qualité rudimentaire de ses instruments.
Pour en venir au sapeur, On raconte que celui qui se fait appelé " Mangrokoto Grand Prêtre ", Papa Wemba (une des stars de la musique congolaise qui avait fait de la prison en France), ne manquait pas une occasion pour mettre ses beaux vêtements achetez à des prix exorbitants. Ça, c'est à vérifier. 

L'essentiel de ce qui vient d'être dit est qu'en prison, un sapeur ça reste un sapeur.